L'EFC est-elle réservée aux initiés ? Confessions d'une "actrice invisible" (et accro au pain au chocolat).

Il faut de l'audace pour commander un "petit pain au chocolat" dans une boulangerie bordelaise.
Croyez-en mon expérience de Chti en terre Occitane : on vous regarde avec un mélange d'amusement et de pitié. Ici, c'est la "chocolatine" qui règne.
C'est un peu avec ce même sentiment de décalage culturel que j'ai débarqué à Darwin pour mes 3èmes Universités de l'Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC). Une Chti débarquant de son Bassin Minier, avec son vocabulaire de Designer Stratégique, ses 25 ans de terrain , et une question en tête : ce modèle économique est-il réservé à un club d'initiés, ou est-il (enfin) prêt à transformer l'économie réelle ?!
Retour sur 4 jours de périple, entre théorie de haut vol, solitude institutionnelle et claques industrielles ;-)
1. La Connivence avant la Confiance
Cette histoire de pain au chocolat n'est pas qu'une anecdote. Elle m'a rappelé une vérité fondamentale sur la coopération : elle ne se décrète pas, elle se vit.
Pour coopérer, il faut de la confiance. Mais pour avoir confiance, il faut d'abord de la connivence. En assumant mon identité (et mes mots), j'ai brisé la glace avec les commerçants et les participants. J'ai créé du lien par l'humain.
Or, c'est précisément ce "liant" qui m'a parfois manqué lors de certains moments institutionnels.

2. Le déclic théorique : l'hommage à Sandro
Tout a commencé fort avec la conférence de Sandro De Gasparo. Quand on entend un chercheur théoriser le "développement par la réduction de la production", on tend l'oreille.
Sandro a mis des mots précis sur ce que je pratique intuitivement : la performance ne vient plus du volume (vendre plus), mais de la capacité à activer des ressources immatérielles (la compétence, la confiance, la santé) et à prendre soin des ressources du Vivant.
C'était brillant. La réflexivité comme moteur de productivité ? Je signe :-)

3. Une table ronde passionnante... mais symptomatique
Dans la foulée, la table ronde a offert de vraies pépites.
Je pense à Élise Boulillé du SMICVAL (gestion des déchets) et sa métaphore géniale : "Passer du cheval de trait au petit poney". En clair : arrêter la course au gigantisme logistique (les gros camions) pour revenir à une échelle locale et agile.
Je pense aussi à Franck David (Les Râteleurs) qui nous a rappelé la différence subtile entre la connivence (l'entre-soi confortable) et la confiance (le socle de la coopération qui accepte l'altérité).
C'était inspirant, c'était juste... mais c'était 100% public ou associatif.
Autour de la table : un syndicat mixte, une association culturelle, une association d'alimentation...
Et c'est là que le doute s'est installé. Où sont les entreprises "classiques" ?! Où sont les PME industrielles, les commerçants, ceux qui doivent payer des salaires sans ... subventions ?
L'EFC est-elle soluble dans le business réel ou est-ce "un luxe" réservé à l'économie sociale et solidaire ?
4. Darwin : Le rêve incarné
Soyons honnêtes : l'Université de l'EFC était l'alibi noble. Darwin était le rêve !
Cela faisait des années que je voulais voir ce lieu. Une ancienne caserne militaire transformée en laboratoire d'économie alternative : +1 million de visiteurs par an, 230 entreprises, 40 associations, zéro subvention de fonctionnement. Pas un "lieu", un écosystème vivant.
Je suis arrivée le mercredi 19, avant même le début officiel de l'UEFC. J'ai fait la visite apprenante. Et j'y suis revenue. Tous les jours. Trois jours d'affilée.
Parce que Darwin, ce n'est pas de la théorie. C'est la preuve que "réhabiliter plutôt que détruire" n'est pas qu'un slogan. C'est un modèle économique qui tient grâce à la mutualisation d'espaces, à la convergence de publics inattendus (sportifs, entrepreneurs, familles, militants) et à l'énergie sociale.
C'est exactement ce que je cherche comme designer : des lieux qui incarnent la transformation sans la crier, qui font coopérer des gens qui n'auraient jamais dû se croiser, qui prouvent qu'on peut être rentable ET régénératif.
Plus qu'un lieu, un écosystème : quand la friche militaire devient poumon économique.
5. Le doute confirmé : la réalité du "Off"
Ce sentiment s'est renforcé lors de l'Assemblée Générale.
Je ne vais pas édulcorer : une réunion qui commence avec 30 minutes de retard, sans ordre du jour communiqué, et surtout sans tour de table.
J'étais là, assise à 2 chaises des représentants de ma propre région (les Hauts-de-France !), et pourtant, à aucun moment l'espace n'a été créé pour que nous nous connections. Nous étions voisins, mais invisibles les uns pour les autres.
Malgré les discours sur l'inclusion et la coopération, j'ai ressenti la froideur de ... l'entre-soi.
Si nous ne sommes pas capables de nous dire "bonjour" et de nous reconnaître entre acteurs d'un même territoire lors d'une AG, comment espérer faire coopérer des industries concurrentes ?!
6. La preuve par le terrain : la claque ADAM
Face à ce doute institutionnel, je me suis raccrochée à ce que j'avais vu quelques heures plus tôt sur le terrain. J'ai repensé à mon trajet en bus vers l'entreprise ADAM à Saint-Hélène.
Là, j'ai pris une claque. Pas de PowerPoint, mais de la sciure, du bruit et du sens. Une usine née en 1880, leader du packaging bois, qui a opéré sa révolution.
Dans l'atelier, on comprend que l'EFC n'est pas un concept abstrait. Comme l'expliquent Jean-Charles et Hélène Rinn, ils ne se voient plus comme des propriétaires, mais comme des "passeurs". Ils ont fait le choix radical de refuser la logique financière classique pour transmettre l'entreprise à une fondation actionnaire, afin de pérenniser l'outil de travail et de protéger la forêt.
Ils ne vendent plus des caisses. Ils vendent de la protection de valeur et de l'identité territoriale. C'est de la robustesse incarnée.
Dans le ventre de l'usine ADAM : ici, on ne vend pas du bois, on vend de la robustesse.
7. Confessions d'une "Actrice Invisible"
Alors, verdict ?
À l'issue de l'AG, on m'a remis une planche de stickers pour lancer le "Mouvement des acteurs de l'EFC ". L'objectif affiché ? Fédérer les "acteurs invisibles".

J'ai souri. C'est exactement ça.
Cela a réveillé une réflexion que je portais déjà dans mon article "Et si l'économie de la fonctionnalité n'était pas un modèle mais un design ?".
Je suis repartie de Bordeaux avec mes stickers et une conviction renforcée : je suis l'une de ces "actrices invisibles". Je ne suis dans aucun club, je ne cherche pas la lumière des estrades.
Mon rôle, c'est celui du Phare : fixe, solide, j'éclaire la route pour mes clients sans prendre le gouvernail ( même si je sais et peut le faire hein !).
Je me vois aussi comme un système immunitaire du territoire : je circule librement entre les silos pour reconnecter les ressources et protéger le vivant...
Conclusion : L'Appel à l'Alliance
Je ne me bats pas pour l'étiquette "EFC". Je me bats pour les effets qu'elle produit.
Alors, je prends au mot cet appel au "Mouvement" !
Si vous êtes un acteur institutionnel, un chercheur ou un dirigeant et que vous cherchez ces "invisibles" qui font le job sur le terrain : nous sommes là. Parfois juste à côté de vous, sur la chaise voisine ;-)
Il suffit de lever les yeux, de sortir des codes établis et d'oser la rencontre.
Moi, je suis prête pour le café (ou le pain au chocolat). Et vous ?
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Dimanche 23/11/2025 à Lens


